Il était descendu sur la plage. Besoin de sentir sous les pieds les éclats brûlants du sable, puis, à la lisière de l’eau, la fraîcheur salée. Besoin de tourner le dos à la falaise abrupte, de pierre grise et de verdure. Besoin de noyer les images du village, de ses habitants, dans l’immensité sereine de la mer, le blanc des maisons dans le bleu confondu du ciel et des vagues. Besoin de n’être pas là où on le croyait, où on l’attendait. Où reposait celui qui n’était plus, celui qui ne viendrait plus sur cette plage. Celui qui n’aurait plus jamais besoin de rien ni de personne. Il n’y avait pas de vent. Basilio soupira ; le vent l’aurait aidé à balayer les pensées qui l’accablaient. Qui l’empêchaient d’être corps et âme dans sa contemplation et son oubli, de n’être qu’un regard tourné vers l’horizon. Grandir lui apporterait la maîtrise suprême : celle qui pouvait réduire l’esprit au silence, éteindre ce bavardage incessant de femme inquiète. Du moins l’espérait-il. Le vent, quand il soufflait, n’y parvenait qu’en partie. Des fragments de pensées s’accrochaient toujours, comme des brindilles et des feuilles mortes dans la bourrasque. Le soleil, sur la plage, était contraint de mêler son ardeur à la douceur de la brise, même imperceptible. La langue de sable qui courait, à droite et à gauche, jusqu’à l’infini, semblait une sirène fatiguée venue se reposer ici, contre l’épaule de pierre d’un géant assoupi. Basilio aimait son coin de monde, cette coupure blanche dans la chair marine, cette frontière où, dans son dos, se pressait l’écrasante immobilité de ce qui était, de ce qu’il devait être au regard des autres, et où, face à lui, s’ouvrait l’immensité du rêve. Il eut envie de s’avancer dans les vagues, de se laisser submerger de longues secondes durant, jusqu’à ce que le feu dans ses poumons le contraignît à exploser l’écume. Un jeu qui rendait folle sa mère. Basilio riait sous l’eau à cette simple idée. Mais aujourd’hui, Annunziata avait assez de raisons pour se plaindre. Basilio soupira à nouveau et haussa les épaules. — Tu peux pleurer, tu sais… Valentina avait laissé glisser sa main sur la joue de l’adolescent. Parce qu’elle ne s’offusquait jamais de son silence, elle pouvait tout lui dire, même qu’il avait un visage qui ressemblait, en cet instant, aux pierres de la falaise. Basilio était le seul à deviner le sourire dissimulé derrière la fatigue et la tristesse de la jeune femme dont le corps s’était déjà drapé de noir. Comme presque toutes les femmes du village, du pays. À San Nidro, dans toutes les Pouilles, les femmes étaient des ombres, des doigts de deuil pointés vers le ciel, qui se traînaient sur la terre dans l’attente d’y sombrer. Mais Valentina ne voulait pas sombrer. Et pour se souvenir du bonheur, pour en conserver sinon la saveur, du moins la promesse, elle avait, dans le secret de son cœur, fait de Basilio un phare dans la tempête. Il posa la main sur celle de Valentina, qui refoula un frisson. Ils se fixèrent un moment en silence, sur le seuil de la maison. — Ne les écoute pas : ne sois pas trop courageux. Basilio s’écarta et ferma les yeux au passage de ce corps au parfum d’orange et d’abandon. Valentina se laissa happer par la fournaise blanche du jour.