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Sur la pente glissante du nazisme

Dernière mise à jour : 6 nov. 2023



À l’heure où un « jeune » politicien, au discours singulièrement archaïque et opportuniste, gesticule pour faire voter une loi interdisant toute comparaison entre des situations politiques contemporaines et le nazisme – afin de prouver à Theo qu’il est vraiment son copain et qu’il va le défendre –, il est sans doute plus utile que jamais de relever justement les similitudes entre ces époques : la nôtre et les années 1930.



Qui a dit ?

« Nous nous sommes mis au travail, non pas sans respecter le droit, car nous le portions en nous, mais sans respecter les lois. J’ai décidé tout de suite que si un paragraphe de loi se mettait en travers de notre route, je n’en tiendrais aucun compte et que, pour accomplir ma tâche au service du peuple, je ferais ce que ma conscience et le bon sens populaire me dicteraient » ? Heinrich Himmler, ministre de l’Intérieur du Reich nazi, grand artisan avec Reinhard Heydrich de la mise en œuvre des camps d’extermination.

Cette phrase, citée dans La Loi du sang ; penser et agir comme un nazide Chapoutot (éditions Gallimard), illustre bien le profond mépris que les nazis avaient envers la loi. Elle résonne aujourd’hui, comme si elle rencontrait à nouveau un assentiment tant dans la population que dans le chef de responsables politiques. Certaines idées sont en train de revenir « à la mode », très proches de celles qui ont nourri l’idéologie raciste nazie. Pas exactement les mêmes, bien sûr : certaines leçons de la guerre ont porté et sans doute personne n’oserait plus en appeler aujourd’hui au meurtre massif pour se débarrasser des étrangers et des « inutiles ». Mais sur le fond, les proximités sont très inquiétantes.


Les eaux sales du populisme

L’ouvrage de Johann Chapoutot (La loi du sang : penser et agir comme un nazi, Gallimard) éclaire de manière particulièrement saisissante l’idéologie nazie. Chapoutot a tout lu : les textes de Hitler, Himmler et consorts, mais aussi ceux des juristes, professeurs, journalistes, jusqu’aux brochures distribuées aux jeunes SA et SS, voire les manuels scolaires. La lecture de son essai est une plongée en eaux boueuses, qui permet de percevoir à la fois la force des idées nazies et leur profonde imprégnation dans la population.


Prenons le point qui nous occupe ici : la loi et le droit. Pour les nazis, la loi est une invention juive, une ruse des plus faibles qui ont construit ces codes pour se sauver. Dans la « loi naturelle » (les nazis ne l’entendent pas de la même manière que nos juristes : il s’agit pour eux d’être en conformité avec les lois de la nature, autrement dit ce darwinisme social selon lequel les plus forts survivent et les plus faibles sont éliminés), ces créatures inférieures auraient été éliminées. Les nazis haïssent ces codes, ces « paragraphes » qui permettent aux dégénérés de survivre et aux criminels d’échapper au châtiment. Le droit auquel se réfère Himmler, c’est ce rapport « naturiste » à la vie que tout Germain, rétabli dans la pureté de sa race (et du coup de la pensée), connaît instinctivement, sans qu’il soit nécessaire de rédiger des codes. La sagesse populaire en est l’expression et ses principes sont simples : est juste et droit ce qui préserve la race germanique-nordique et obéit à la « loi du sang ». Est injuste tout ce qui la menace, à commencer par cette morale judéo-chrétienne qui prône l’amour, l’humilité et la pitié, mais aussi la mixité raciale, autant de valeurs qui ont affaibli la race nordique.


Le racisme contemporain

Bien sûr, le racisme sévit toujours ; il suffit d’en voir presque toutes les semaines les expressions dans les stades de foot ou sur les réseaux, et la très récente affaire des attaques répugnantes à l’encontre de Cécile Djunga. Mais il faut rappeler que le racisme est d’abord une conception (qualifiée à l’époque de scientifique), construite sur des éléments de darwinisme et de biologie (on découvre les principes de l’hérédité), selon laquelle il existe bel et bien des races, lesquelles (darwinisme oblige) sont éternellement en guerre. Contre la race nordique, les bâtards conduits par les Juifs (qui ne sont même pas une race, mais des bacilles, des germes infectieux) ont tenté de détruire la race nordique en lui imposant le libéralisme, les lois alambiquées et les valeurs altruistes dont le seul but était de conduire à l’élimination des Germains qui ont le tort d’être trop sensibles et trop tendres. Il faut donc en finir avec ces lois et rétablir la pureté et la grandeur de la race dominante, celle que les Allemands partagent avec les Grecs et les Romains de l’Antiquité, mais aussi les Indiens, les Perses, tous ces peuples mythiques qui ont fondé des civilisations (y compris les Tibétains, comme le rappelle de manière très documentée Albert Ettinger).


Ce racisme-là n’existe plus vraiment. La science a démontré qu’il n’y a qu’une race humaine et les nazis ont démontré à quelles horreurs conduisaient ces idées. Mais ses fondements n’ont pas disparu car l’humain a peur de la différence et de l’étranger. Par nature ? Ce n’est pas certain ; par contre, cette peur est entretenue par notre éducation, par cette « sagesse populaire » qui est le plus souvent un ramassis d’imbécillités et de contradictions. Non seulement ces fondements n’ont pas disparu, mais ils sont ravivés sous une forme « moderne » et terriblement porteuse dans la population.


Le populisme : la défense des « peuples »

Les deux responsables politiques les plus dangereux aujourd’hui en Europe, Salvini et Orban, en donnent la plus forte expression : au concept de race, ils ont substitué celui de civilisation européenne, blanche et chrétienne. L’ennemi n’est plus le Juif (ce qui n’empêche pas l’antisémitisme de refleurir) mais toujours l’étranger, en l’occurrence le musulman, lui aussi accusé de vouloir détruire la « race » européenne et de mener une guerre impitoyable en vue de son extermination. Sous des formes plus ou moins atténuées, cette argumentation se retrouve chez d’autres dirigeants, qu’ils soient ou non « souverainistes » (l’autre nom du racisme). Comme le rappelle Edwy Plenel, « Emmanuel Macron est le dernier en date de ces intelligents que le présidentialisme rend bêtes. Sa sortie au Danemark sur “le Gaulois réfractaire au changement” opposé à un “peuple luthérien qui a vécu les transformations des dernières décennies” en est la toute dernière illustration. Le trait d’humour aujourd’hui invoqué n’empêche pas que c’est une double ânerie, doublée d’une mauvaise manière. Bêtise historique comme se sont empressés de le rappeler les historiens spécialistes des Gaulois. Stupidité intellectuelle, tant essentialiser un peuple, le réduire à une réalité intangible, c’est raisonner comme les racistes qui ne voient qu’une masse uniforme, homogène et invariable là où il y a des individus divers, mouvants et différents. Inélégance enfin vis-à-vis du peuple qu’Emmanuel Macron est supposé représenter et dont il parle comme s’il en était lui-même extérieur et, surtout, supérieur. »

Quand Theo Francken affirme qu’il « faut pouvoir […] trouver une manière de contourner l'article 3 de la Convention européenne des Droits de l'homme, et la jurisprudence doit s'y adapter », il joue la carte du rejet de la loi au profit d’un « droit » implicite, qui serait celui du « bon sens » et qui devrait trouver les moyens (par des « contournements ») de se libérer d’une loi qui profite aux criminels, ou « illégaux » (rappelons que, par définition, aucun être humain ne peut être « illégal » ; seuls des actes peuvent l’être), pour défendre le « peuple », les « légaux ».


Les droites et ce qui les rassemble

« D’une contrée à l’autre, toutefois, l’extrême droite n’a pas les mêmes contours. Parfois, ce que l’on pourrait qualifier chez nous d’extrême droite correspond simplement à la droite d’un échiquier national. À certains endroits, le registre de l’extrême droite est surtout déterminé par un discours antisystème ; ailleurs, elle joue avec un sentiment national qu’a longtemps étouffé une histoire dominée par des puissances extérieures. Mais partout, elle repose sur une hostilité, plus ou moins affichée, à l’étranger, à l’Autre, à celui qui est différent. » (Amélie Poinssot et Donatien Huet).


À travers les prochaines élections et le soutien que l’on apportera ou non à des politiques prônées par la N-VA et d’autres partis d’ultra-droite, se jouera une vision de l’humanité : soit une humanité construite sur des valeurs d’entraide, de compréhension, de partage ; soit une humanité fondée sur l’égoïsme, la haine et le rejet. Si on ajoute le paramètre écologique (mais la démission de Nicolas Hulot rappelle combien peu ce défi majeur est pris au sérieux), ce choix se corse encore ; car la défense de la « race » 2.0 est aussi une défense de privilèges scandaleux qui menacent l’avenir de la planète.


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