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Facebook et Bookface

Il y a quelques jours, la France, qui aime toujours faire grand bruit sur tout et rien, était agitée par le dernier débat à la mode : faut-il ou non interdire les apéritifs Facebook. La Ministre, sur les antennes publiques, avait qualifié de telles initiatives populaires “d’appel à la mort”, ni plus ni moins, à la suite de l’accident tragique qui avait causé le décès d’un participant à une telle rencontre. On pourrait, comme l’ont d’ailleurs fait largement la presse et, plus encore, le monde hyper réactif de la toile, balancer entre, d’une part, l’indignation face à cette surenchère sécuritaire de l’Etat qui vise à s’immiscer dans toutes les sphères de la vie (plus ou moins) privée, et, d’autre part, la stigmatisation de ce monde virtuel, symptôme d’une société en perte de repères, déshumanisée, où les gens ne parlent plus à leurs voisins mais se font des “amis” sur la toile et frémissent à l’idée d’aller les rencontrer pour se bourrer la gueule.

Je pense cependant qu’il faut aller voir plus loin. Cet incident met en lumière une évolution de notre société, en cours depuis longtemps et qui ne fait que s’agraver. À savoir une bipolarisation qui conduit à la suppression des zones sociales intermédiaires – qu’on les appelle “classes moyennes” ou autrement –, lesquelles sont indispensables à une démocratie véritable. Partant, c’est donc bien la démocratie qui est en jeu, menacée dans ses fondements, à cause d’une dérive voulue et provoquée par une forme de capitalisme totalement amorale (on pourrait d’ailleurs discuter longuement pour savoir s’il existe une forme de capitalisme véritablement morale…). Que recherche ce grand capital ? Par définition, accroître de manière infinie ses richesses. Ce processus est orchestré par un des dogmes majeurs de la nouvelle religion : la croissance. D’un côté donc, une minorité toujours plus restreinte d’individus qui détiennent le capital et tous les leviers économiques, sociaux et culturels, sans oublier le contrôle toujours plus grand qu’ils exercent sur la politique ; de l’autre, vous et moi, la “masse”, la majorité qui veut être libre. Mais libre de quoi ? Essentiellement d’assouvir ses plaisirs sans en assumer les responsabilités, de consommer toujours plus en payant toujours moins. Les premiers fournissent aux seconds ce qu’ils désirent, et n’hésitent pas à susciter continuellement de nouvelles frustrations et, donc, de nouvelles envies. Peu importe que le prix à payer pour cette “liberté” soit : l’exploitation toujours plus inhumaine d’une part toujours plus grande de l’humanité ; la réduction de notre autonomie et de notre véritable liberté ; l’assujettissement toujours plus fort de l’école à l’économie, avec la chute des niveaux qui l’accompagne.

Que peut faire l’Etat face à ce processus ? Ce qu’on lui demande de plus en plus, à savoir être responsable à notre place. Lors de la marche blanche, les autocollants qui avaient fleuri sur les pare-brise le disaient clairement : “Protégez nos enfants” — pas “protégeons”. Depuis, cela n’a fait que s’accentuer. Les apéros Facebook pourraient se résumer ainsi : gérez nos débordements, vous êtes payés pour ça, mais ne les interdisez pas, sinon on vous traite de fachos.

Face à ces comportements de plus en plus irresponsables, l’Etat finira par se ranger définitivement du côté de cette minorité qui contrôle l’économie, achevant la fusion, déjà bien avancée, entre le capital et le pouvoir. Se mettra en place cette soft-dictature qui aura l’apparence de la démocratie, son goût, son nom, mais qui ne sera résolument plus une démocratie. Notez que ce n’est pas obligatoire ; bien entendu, pour le capital, c’est l’option la plus confortable. Mais il pourrait tout aussi bien s’accommoder d’une disparition de l’Etat. Une forme dénaturée de l’anarchie – aussi fausse que le serait cette future démocratie –, où les plus pauvres seraient totalement abandonnés.

Finalement, Marx n’avait peut-être pas si mal analysé la situation…

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