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Extrême droite : le miracle wallon ?


Partout en Europe, l’extrême droite fleurit, enfle, se banalise. Partout, sauf en Wallonie. On peut dire que le MR se droitise, mais à côté de ce qu’est réellement l’extrême droite, cette évolution n’est qu’une farce de carnaval.


Bien sûr, on a Mischaël Modrikamen et son PP, qui fait la cour à Steve Bannon et croit avoir trouvé dans le faiseur de Trump le défaiseur d’Europe et de démocratie, débâcle à laquelle il aspire (j’en reparlerai). Bien sûr, Alain Destexhe monte sa liste très, très à droite, directement inspirée par la NV-A, et recrute des personnalités aussi troubles que Claude Moniquet. Bien sûr, il y a un parti qui s’appelle La Droite, mais qui est inexistant en termes électoraux – qui pourrait citer le nom d’un de ses membres ?


À quoi cela tient-il, quand au Nord du pays, le Vlaams Belang est vigoureux ? Quand, dans tous les autres pays d’Europe, des partis ouvertement d’extrême droite sont arrivés aux affaires, alors que cette perspective semblait impensable à la fin du millénaire passé – ce qui ne veut pas dire qu’elle n’était pas en train, déjà, de devenir une réalité ? Y a-t-il un gène wallon qui immunise cette population du virus fasciste ? Il suffit d’ouvrir un livre d’Histoire et de se souvenir du beau Léon pour réfuter cette hypothèse. Toute l’œuvre de Hergé, mais aussi celle d’Henry Bauchau témoignent d’une fascination pour l’ordre, le pouvoir fort, la défense d’une civilisation blanche et chrétienne. Donc, non, le Wallon est tout aussi susceptible de devenir fasciste qu’un autre. Et Manuel Abramowicz rappelle que cette absence sur l’échiquier politique wallon n’est que relative : des groupuscules activistes et nationalistes existent, très actifs sur les réseaux sociaux et présents sur les campus universitaires.


Sauf que, dans les chiffres électoraux, depuis la fin de la deuxième guerre, cette extrême droite est quasi inexistante.


La gauche toute-puissante

Certains l’expliqueront par la domination établie par le PS sur la Wallonie. Le parti socialiste aurait, grâce à un ingénieux système de clientélisme et de prise de contrôle d’institutions, d’associations et d’organismes multiples, définitivement pris le contrôle de la population. Dans chaque famille wallonne, il y aurait au moins quelqu’un qui profite directement de l’aide et de l’appui du PS.


Vision assez primaire et ridicule de la situation. D’abord, le PS n’est réellement dominant que dans les provinces de Liège et du Hainaut ; le Brabant est le fief du MR et le CDH se porte encore bien dans le Namurois et le Luxembourg. Le clientélisme que l’on reproche à juste titre au PS n’est pas une spécificité socialiste : c’est ce qui guette tout parti qui se retrouve majoritairement au pouvoir trop longtemps. Et il ne faut pas oublier qu’avant de pouvoir mettre en place un système pareil, il faut d’abord être élu. L’ancrage de chaque parti dans telle ou telle région s’explique pour des raisons historiques, liées aux luttes sociales, à la situation socio-économique. Le clientélisme est une conséquence (pas obligatoire, au demeurant), pas une cause de l’hégémonie d’un parti ; tout au plus peut-il contribuer à maintenir cette hégémonie lorsque les raisons initiales se sont effacées. Et puis, ce que ces partis ont mis en place n’est pas à rejeter sans discernement, comme le rappelle Pascal Delwit : « D’autre part, observons qu’il y a dans le spectre francophone des structures d’encadrement social encore très prononcées, à la fois des structures partisanes, syndicales, mutuellistes, du monde démocrate-chrétien, du monde socialiste, aussi un encadrement municipal et une forme de protection et de sécurité sociale qui est quand même plus performant que dans d’autres espaces ».


Par contre, l’« habitude », l’ancrage historique de certains courants politiques, peut jouer un rôle dans l’absence de l’extrême droite. Il y a une quinzaine d’années, profitant d’élections programmées, une enseignante montoise a organisé pour ses élèves de rhéto un faux scrutin. Des représentants motivés de tous les partis démocratiques sont venus rencontrer les ados. Tous ? Non. Pas le PS. Après avoir rencontré les représentants des partis, les élèves ont voté. Résultat : le PS a gagné avec plus de 70 %.

En serait-il toujours de même aujourd’hui ? Je l’ignore. Le désintérêt, voire le rejet pour la politique n’a cessé de croître. Le PS ne s’en tirerait peut-être plus aussi bien ; mais cela ne signifie pas que le PP gagnerait quoi que ce soit.


D’autres explications

On a l’habitude de dire qu’il y a d’autres raisons à cette singularité wallonne. D’abord, une histoire sociale sur fond d’industrialisation sauvage, faite de luttes, de confrontations avec un patronat souvent peu scrupuleux. Une mentalité, aussi, qui serait plus tolérante, plus ouverte, plus généreuse. Oufti… Est-ce à dire que les Wallons seraient les seuls Européens dotés de ces qualités ? Le simple fait de poser la question en souligne l’absurdité.


On avance aussi l’absence de figure charismatique. Il est vrai que le charisme d’un Modrikamen est proche du zéro absolu. Il y a des fortes personnalités dans le paysage politique wallon : Didier Reynders, Elio Di Rupo en son temps, Paul Magnette et d’autres plaisent et convainquent. Pourquoi n’y en a-t-il aucune d’extrême droite, comparable à un(e) Le Pen si populaire chez nos voisins directs ? À cette question, il n’y a pas de réponse satisfaisante, sinon une, qui est intellectuellement déprimante : le hasard, la chance.


Qui dit chance dit risque

Si l’absence de l’extrême droite en Wallonie tient essentiellement, d’une part, aux structures mises en place durant les Trente Glorieuses (mais qui existent aussi en Flandre, ce qui n’a pas empêché l’essor de l’extrême droite), et d’autre part à un concours de circonstances plus ou moins hasardeuses, cela ne veut pas dire qu’elle est garantie pour l’avenir. Au contraire.


Le tissu associatif et social, les structures étatiques ou régionales s’effritent. La solidarité est mise à mal par des politiques ultralibérales qui lui préfèrent la rentabilité, y compris pour les services publics. Cette protection est en voie d’extinction. Et le hasard, par définition, est… aléatoire.


On dit aussi que la différence clé serait l’absence de sentiment nationaliste en Wallonie, lequel sentiment nourrit tous les partis d’extrême droite. Lorsque les services publics seront réduits au strict minimum, lorsque la précarité aura encore augmenté, un sentiment de repli naîtra inévitablement. Ce sentiment est celui du nationalisme étroit : se refermer sur une communauté, développer un socialisme national, retrouver les principes de toutes les mafias pour lesquelles la solidarité s’exerce exclusivement dans un entre-soi fondé sur la sujétion et l’inféodation. Alors, quand certains politiques régionaux, comme Jean-Claude Marcourt, promeuvent l’identité wallonne, quand le clientélisme survit aux scandales et ne sert plus qu’à prolonger un pouvoir moribond, autrement dit quand une partie de la gauche, par mauvais calcul et vision à court terme – c’est pour assurer sa réélection que Mitterrand a ouvert la porte à la banalisation du FN –, achève de discréditer tout ce que la gauche a offert à la société, à ce moment, le hasard laisse la place à la fatalité. Tels des Jean-Baptiste de zones sinistrées, ceux-là aplanissent les sentiers pour des leaders nationalistes, extrémistes, fascistes.


Le spectre de Bannon

Ils ne sont pas les seuls, évidemment, et on peut compter sur les forces vives de la gauche pour les contrer. D’autres dangers menacent, d’autres prophètes sont à l’œuvre, au premier rang desquels l’effroyable Steve Bannon qui, après avoir œuvré au triomphe de Trump et contribué à celui de Bolsonaro au Brésil, s’est fixé comme objectif de faire triompher l’extrême droite aux prochaines élections européennes. Cet homme est prêt à tout. Il a des moyens et de l’ambition. Il envisage de créer en Italie une académie pour « les leaders souverainistes et populistes de demain ». Un documentaire va bientôt sortir sur celui qui se définit ainsi : « I’m about winning » (que je traduirais par : « La seule chose qui m’intéresse, c’est gagner », ou « Ce qui me définit, c’est la victoire »). À quand la série, le film, les romans ? On peut sourire en disant que s’il doit compter sur des gens comme Modrikamen, il va devoir réviser sa définition ; mais n’ajoutons pas l’insouciance à l’aléatoire. L’extrême droite monte partout : France, Italie, Pologne, Hongrie, Autriche, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne… Il n’y a aucune raison de croire que la Wallonie sera naturellement épargnée. Par contre, il faut profiter de cette situation exceptionnelle pour empêcher activement que l’extrême droite déboule en Wallonie et pour ainsi faire durer cette singularité régionale.



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