Cela fait de longues semaines que le débat sur l’accueil des réfugié.e.s se développe, de manière de plus en plus virulente et dichotomique. D’un côté, les « bobos-bisounours-gauchistes » qui mettent en avant les droits humains et l’application stricte des lois internationales ; de l’autre, les « dédés-fachos-racistes » qui veulent défendre le territoire contre ce qui apparaît comme une invasion et contre des dépenses qui mettent à mal notre sécurité sociale, au détriment des Belges.
Rares sont les membres d’un de ces camps prêts à entendre les arguments adverses et à en discuter calmement, sans en venir à des arguments ad hominem ou à des clichés non fondés. Les faits et les données chiffrées ont peu de poids ; les convictions sont telles qu’on ne les regarde pas s’ils menacent de mettre en péril ces certitudes. Les opposants aux réfugié.e.s se présentent comme des résistants et accusent ceux qui soutiennent ces réfugié.e.s de collaboration. Cela s’appelle un dialogue de sourds et la vie ressemble de plus en plus à ce que Shakespeare diagnostiquait : « une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien ».
Pourtant, quand on lit les positions des deux camps, une évidence finit par sauter aux yeux : tout le monde est d’accord sur un point. Non seulement les deux camps, mais aussi un troisième : les réfugié.e.s. Et pas un point de détail : nous voudrions toutes et tous qu’il n’y ait plus de réfugié.e.s.
Celles et ceux qui redoutent une invasion, à l’évidence, rêvent que le robinet de ce flux insupportable, alimenté par tous les appels d’air des irresponsables droit-de-l’hommistes, se tarisse.
Celles et ceux qui prennent énormément de leur temps libre et de leurs ressources pour héberger les réfugié.e.s, qui commencent à recevoir des menaces personnelles et qui sentent la pression du gouvernement s’exercer toujours plus fort pour les faire renoncer, préféreraient tellement qu’il n’y ait pas besoin de fournir de tels efforts.
Et celles et ceux qui fuient la guerre au péril de leur vie, après la ruine, auraient tellement préféré rester chez eux et y vivre heureux.
Y a-t-il vraiment quelqu’un, même parmi les pires trolls des réseaux sociaux, qui oserait affirmer qu’il n’est pas d’accord avec ce constat ? Qui a envie que des réfugié.e.s se retrouvent à Calais, dans le Parc Maximilien, sur les aires de parking des autoroutes ? Qui, à part un psychopathe raciste ou un passeur sans scrupule, a envie de voir sombrer corps et biens des bateaux de fortune lancés sur la Méditerranée ? Un psychopathe ou un.e politicien.n.e malhonnête qui profite de ce climat pour détourner l’attention des vrais problèmes et bâtit sur cette souffrance un électorat négatif.
Puisque nous sommes tous d’accord…
Le gouvernement, qui doit diriger le pays pour le bien de toutes et tous, aurait dû être le premier à tirer ce constat, plutôt que d’attiser les divisions et de multiplier les mesures et les gestes dont le but évident était d’intimider les défenseurs des droits humains et des réfugié.e.s. Theo aurait pu, en mélangeant les lettres de son prénom, se rappeler qu’un hôte est autant l’accueillant.e que l’accueilli.e. Imaginez : Francken, Jambon et Michel arrêtent de dire qu’il faut être « ferme et juste », que fermer les frontières coûte moins cher que les ouvrir. De toute manière, ils ne convainquent que celles et ceux qui sont déjà convaincu.e.s. Changement radical de stratégie : ils mettent fin à leur propagande ridicule et publient sur leur page Facebook ou viennent sur les plateaux télés pour affirmer haut et fort : « Nous sommes tous d’accord ! Nous allons œuvrer tous ensemble à la seule solution possible ! L’union fait la force ! Enfin et pour de vrai ! » Les fachos et les gauchos, les dédés et les bobos, les belges et les pas-belges, les avec-papiers et les sans-papiers, les sans-domicile-fixe et les sans-domicile-tout-court, bref toutes et tous auraient applaudi ! Jan, Theo et Charles auraient été plébiscités pour le prix Nobel de la paix !
Blague à part, la meilleure manière de régler le problème de cette migration clandestine qui divise l’opinion publique européenne, c’est de faire en sorte que ces hommes et ces femmes n’aient plus besoin de fuir leur pays. Plutôt que de dépenser des fortunes à la construction de murs inefficaces, à la mise en place de politiques inefficaces de contrôle, de refoulement, de rapatriement et même d’hébergement, les mêmes sommes investies dans une politique de développement et de coopération porteraient des résultats dont tout le monde profiterait infiniment plus : les pays dont la population cherche à fuir et les nôtres. Plutôt que de financer des régimes corrompus ou dictatoriaux pour leur demander de faire le sale boulot à notre place, nous pourrions mettre en œuvre, dans les pays fragilisés le plus souvent par nos politiques étrangères, les conditions d’un développement économique et social plus juste et plus démocratique.
Demain plus qu’aujourd’hui
Il n’est pas trop tard pour que nous unissions toutes les forces, mais cela devient urgent ; demain, les raisons que des gens auront de fuir leur pays seront toujours plus nombreuses, et pour des migrations bien plus irrévocables qu’un conflit pour lequel on peut toujours espérer le retour de la paix : les guerres et les conflits ne s’apaiseront pas si nous maintenons nos politiques étrangères actuelles ; les crises écologiques vont se multiplier si nous ne prenons pas des mesures drastiques pour endiguer le dérèglement climatique ; les crises sociales et politiques proliféreront si nous continuons à piller, directement ou indirectement, les richesses du continent africain.
On rétorquera que cela prendra du temps ; mais au moins, ce temps passé nous conduira vers une résolution des problèmes, alors que si nous restons dans la logique actuelle, le temps passé ne peut que les amplifier et les multiplier, à un coût économique et humain de moins en moins supportable.
Bien entendu, si on arrive à endiguer positivement le « flux » des réfugié.e.s (autrement dit, pas seulement en fermant nos frontières mais en leur permettant de vivre dans de bonnes conditions chez eux), l’Europe devra relever un autre défi : celui de son vieillissement et du financement de nos retraites… Il sera temps, ce jour-là, de rappeler l’importance d’une immigration sereine, constructive, pacifiée, basée sur des raisons positives, sur de réels projets de vie – individuels et collectifs – et non causée par des urgences humanitaires.
Titanic
Lors du naufrage du Titanic, une partie des passagers (des femmes et des enfants prioritairement) ont eu la chance d’embarquer sur des canots de sauvetage. Tous les autres ont coulé. Si la terre est le Titanic, il convient de rappeler deux différences majeures. Il n’y a pas de canot de sauvetage. Première différence, plutôt négative. Il y a une seconde différence, plutôt positive : nous pouvons encore éviter l’iceberg. En ramant tous ensemble.
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