Jour après jour, le débat sur l’accueil des réfugié.e.s se tend. Certains accusent le gouvernement, d’autres les personnes, souvent anonymes, qui défendent celles et ceux qui fuient une situation invivable dans leur pays. Deux discours qui s’opposent de plus en plus vivement et qui peuvent être le signe d’une saine démocratie. Ou pas, s’il ne s’agit que de dialogue de sourds…
La vague de soutien aux réfugiés en a surpris plus d’un – et certainement les membres du gouvernement en premier. Nombreux sont ceux qui saluent cet élan et sont convaincus qu’il est le signe d’un changement fondamental dans l’opinion publique, un changement positif, capable d’infléchir la politique du gouvernement. Loin d’être le fait de la seule gauche, ce que l’on peut appeler le Mouvement Maximilien, que certains qualifient de « fragile » voire de « dangereux », est désormais une réalité salutaire et solide qui fait contrepoids à la politique du gouvernement. Et la virulence des attaques dont font l’objet le mouvement en général et certaines de ses figures de proue est la preuve de cette vigueur. La violence des commentaires des lecteurs et lectrices à leur encontre croît de jour en jour, et on voit se multiplier les accusations de « collaboration ». Fake ou réalité, un site a surgi le weekend dernier appelant chacune et chacun à dénoncer celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, portent assistance aux « clandestins ».
Il y a 70 ans, un collabo, c’était quelqu’un qui avait choisi de coopérer avec l’occupant nazi. Et un résistant, un homme ou une femme qui, au péril de sa vie, luttait contre cet occupant. Aujourd’hui, le « collabo », c’est celui ou celle qui accueille un réfugié et l’aide à survivre et à jouir des droits que les traités internationaux lui garantissent, à commencer par l’Article 3 de la Convention européenne des droits humains : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » La jurisprudence européenne a clairement établi que cette protection s'étendait aussi aux personnes en situation irrégulière.
Il est collabo, bien sûr, puisqu’on reste dans cette logique de « flux » qui deviendraient incontrôlables si les gouvernements ne faisaient pas preuve de fermeté. Collaboration avec l’occupant ou le futur envahisseur, que l’on trouve qualifié de toutes les injures possibles et (in)imaginables.
Est-ce bien sérieux ? On croit rêver… cauchemarder, plus précisément.
Il faut, encore et toujours, rappeler que ces gens sont réfugiés. Ré-fu-giés. Ces hommes et ces femmes fuient des pays en guerre, où leur vie est menacée. Ce « flux » ne représentera jamais, à l’échelle européenne, qu’une fraction de pour cent. Comme je le rappelais il y a quinze jours, ces réfugié.e.s, si nous prenons la peine de les intégrer correctement (ce qui passe, évidemment, par l’apprentissage de nos langues nationales), ces hommes et ces femmes contribueront à la croissance de nos pays et pourront occuper une partie des dizaines de milliers de postes pour lesquels on ne trouve aucun candidat aujourd’hui.
Michel ne disait d’ailleurs rien d’autre : « Qui gagne le plus, le migrant ou le pays qui l’accueille ? Moi, je crois que c’est le pays qui l’accueille ». Attention, pas le même Michel : Louis Michel, un vrai libéral…
La criminalisation à outrance
La « fachosphère » n’est pas la seule à criminaliser les citoyen.ne.s solidaires : le gouvernement y contribue de toutes ses forces, à travers des projets de loi ou de réglementation qui contreviennent aux principes fondamentaux de nos démocraties. Jambon, Francken et Geens entendent criminaliser la situation de clandestin en permettant des « visites domiciliaires » jusque chez des tiers hébergeurs. Chastel a beau affirmer qu’il ne s’agit pas de criminaliser les hébergeurs de la plate-forme citoyenne du Parc Maximilien, il s’agit en tout cas de criminaliser ce qui ne devrait être qu’une infraction administrative (être sans papier) et de faire peur à toutes les personnes qui entendraient leur venir en aide. C’est une première étape pour la mise en place de mesures similaires à celles qui se pratiquent en France. Le brouillage est d’autant plus fort que le projet de loi confond deux notions juridiques distinctes : la « visite domiciliaire » concerne une visite dans un domicile, par la police, avec l’accord du propriétaire. Ce que la loi veut mettre en place, ce n’est pas une visite domiciliaire : c’est tout simplement une perquisition.
Ducarme, qui entend exister aussi médiatiquement, y va de son couplet : fini la prise en charge de soins « de confort » pour les illégaux ! Et l’opinion de s’imaginer que les réfugié.e.s viennent en Belgique pour se faire refaire le nez ou les seins, aux frais du contribuable et au détriment de « nos » pauvres… Un autre « appel d’air », sans doute ! Et De Wever vient au secours de la sécurité sociale, lui qui n’a jamais caché son intention de la réduire à la portion congrue. À l’en croire, les « gauchistes » irresponsables qui voudraient l’ouverture des frontières doivent assumer que, ce faisant, ils anéantiront la sécu. C’est magnifique ! Parce que, bien entendu, les mesures ultralibérales portées par le N-VA ne menacent pas la sécurité sociale… Et les efforts prodigués par ce gouvernement pour favoriser l’évasion fiscale, ne sont-ils pas une menace réelle contre notre sécurité sociale ? Quant au poids que font peser sur la sécu quelques centaines, voire même quelques milliers de réfugié.e.s, il est négligeable. Moindre que les sommes gaspillées dans la protection des frontières (le gouvernement britannique vient d’accepter de payer 50 millions de plus à la France pour garder les frontières…) Et surtout, la question d’accueillir ou non ces personnes ne doit même pas se poser, en vertu des lois internationales et de principes supérieurs. Il y a une notion capitale dans le droit international : celle de « jus cogens », les normes impératives, autrement dit des principes qui prévalent sur toutes les législations locales, comme notamment le rejet absolu de la torture, le tortureur étant, à l’instar du pirate ou du marchand d’esclaves, « hostis humani generis », un ennemi du genre humain. Il n’est nul besoin d’une enquête pour savoir que le gouvernement soudanais et le dictateur qui règne sur ce pays rentrent dans cette sinistre catégorie. Et que les personnes qui fuient ce pays doivent recevoir notre assistance.
Jusqu’à l’éviction d’Eddy Caeckelberghs qui a envoyé à quelques personnes, de manière privée, le lien avec la vidéo que j’ai reprise ci-dessus, une vidéo par ailleurs diffusée par la RTBF et qui montre que tous les membres de la famille Michel ne défendent pas les mêmes options morales. Benjamin Maréchal est toujours dans les parages, on a mis des semaines pour l’écarter de l’antenne ; un appel de Chastel à la direction de la RTBF suffit pour écarter celui qui est une des personnalités les plus fortes du service public et dont le professionnalisme ne peut pas être mis en doute, en usant de surcroît d’un argument juridiquement discutable. Comme Bertrand Henne, comme bien d’autres, comme les policiers qui refuseront d’obéir à des ordres injustes, Eddy Caeckelberghs a des valeurs et des opinions. Dans ses interviews et ses émissions, il maintient l’objectivité inscrite dans la déontologie de sa profession ; pourquoi cela devrait-il lui interdire de défendre des idées politiques ? Clairement, en obligeant la direction de la RTBF à écarter Caeckelberghs, le gouvernement, dominé par la N-VA avec le MR à ses ordres, fait monter la pression et organise une forme de terreur. Cela aussi peut s’appeler, au sens premier du terme, du « terrorisme ». La liberté d’expression ne vaudra-t-elle bientôt plus que pour Theo Francken, coupable à tant de reprises d’avoir diffusé des messages indignes de la fonction qu’il occupe ?
La meilleure défense…
Pour masquer ses errements et ses manquements, le gouvernement attaque donc ses opposants de manière misérable. Il tente de faire oublier que, comme tous les autres pays européens, il a signé les accords de Khartoum et de La Valette, qui sous-traitent, contre espèces sonnantes et trébuchantes, la garde des frontières aux armées et milices des pires dictatures africaines. Il veut traquer « la taupe » qui a osé prévenir les associations de la rafle prévue dimanche soir à la gare du Nord et dans le parc Maximilien. Francken poursuit systématiquement tous ceux qui ont le malheur de s’attaquer trop directement à ses actes ou à ses paroles. Petit à petit, un climat de crainte s’installe dans la population et dans les médias. On ose moins, jusqu’au jour où on n’osera plus.
Dans ce processus, on s’attaque à certaines figures plus représentatives, en espérant sans doute que si ces têtes tombent, les langues se tairont. Alexis Deswaef, président de la Ligue des Droits de l’Homme, est certainement un des plus critiqués. On lui reproche ses propos « excessifs », « outranciers », comme ceux qu’il aurait tenus sur les antennes de la RTBF ce 22 janvier, et tout particulièrement son appel à « nettoyer » les rangs de la police. Or, si on prend la peine d’écouter précisément ce que dit Alexis Deswaef, on entend ceci : certains policiers se sont comportés envers les migrant.e.s de manière contraire aux lois. Se faisant, ils discréditent l’ensemble de la police et leurs collègues qui, majoritairement, s’efforcent de faire correctement son travail. Ces policiers portent atteinte à la dignité de leur corps. Alexis Deswaef ne dit rien d’autre. Ce n’est pas Sarkozy appelant à « nettoyer les banlieues au karcher »… Et c’est pourtant Alexis Deswaef qui reçoit des menaces d’emprisonnement, voire de mort.
Et pour celles et ceux qui douteraient de la véracité de ces accusations, il suffit de consulter des médias sérieux sur Internet, ou mieux encore, de lire l’extraordinaire carte blanche de Yann Moix, qui annonce la sortie du documentaire qu’il a consacré au sujet des « bavures » policières à Calais.
Alors, que faire ?
Au-delà des attaques et de la dramatisation des discours, il y a des solutions.
Ce ne sont pas ces réfugié.e.s qui menacent « nos » pauvres et notre sécurité sociale : ce sont les choix des gouvernements successifs soumis aux impératifs ultralibéraux, selon lesquels les services publics doivent être réduits à la portion congrue (ils ne se porteront bientôt plus que sur des missions de sécurité et de maintien de l’ordre). La première chose à faire est de renforcer nos services publics et de lutter, tous azimuts, contre la pauvreté, quelle que soit l’origine de ses victimes. Ce sont les puissants et les possédants qui ont intérêt à diviser les pauvres… Dans cette logique, la désobéissance civile est un devoir et il faut encourager les lanceurs d’alerte, au sein des administrations, et féliciter celles et ceux qui, dans la police, l’armée, l’administration, comme de véritables résistant.e.s, refuseraient d’obéir à des ordres contrevenant aux lois nationales et internationales, au nom des « normes impératives » qui prévalent à toute loi.
Il faut ensuite, dans cette logique, prendre en main de manière très active l’intégration des migrant.e.s, afin de leur permettre d’intégrer notre société et ses valeurs. Mais pour exiger de quelqu’un qu’il respecte les règles, il faut aussi qu’il puisse en profiter. L’intégration, l’accès aux soins, à l’enseignement, aux chances… c’est essentiel. Et tout le monde y gagne.
Il faut aussi mettre en place, à l’échelle européenne, une répartition juste de ces migrant.e.s et mettre un terme au ridicule principe de Dublin : l’Italie, la Grèce, bientôt l’Espagne, ne pourront plus assumer seuls la gestion de la migration. Cette prise en charge européenne passe aussi par une politique internationale tout à fait différente : car, au final, la meilleure manière de mettre un terme à la migration, ou du moins de la « stabiliser », c’est de faire en sorte que les gens n’aient ni le besoin ni l’envie de fuir leur pays. Si l’Occident, pour favoriser ses intérêts économiques à court terme, arrêtait de piller, de déstabiliser, de soutenir des dictateurs, s’il mettait en place de réelles politiques de développement et de coopération, alors tout le monde y gagnerait, une fois encore.
Il faut enfin rappeler à nos gouvernants qu’ils ne doivent pas céder aux mirages d’un populisme à courte vue. Renforcer les peurs au lieu de les combattre, jouer sur les pires instincts au lieu de défendre les valeurs fondamentales de notre démocratie, oublier que si la sécurité est un droit absolu, elle ne l’est qu’en relation intime avec la liberté, l’égalité et la justice, tout cela les conduira peut-être à des victoires, mais des victoires à la Pyrrhus. Il ne faut aucun courage à Theo Francken pour appliquer sa politique ; il en faudrait, par contre, pour dire la vérité aux gens et défendre la liberté, l’égalité et la justice, sans lesquelles il n’y a d’autre sécurité que celle des citadelles assiégées et des prisons. Et il en a fallu à Helen Nijs, cette conseillère communale à Aarschot, ex-N-VA, qui a quitté son parti parce qu’elle juge « l’actuelle politique de déportationde Theo Francken inhumaine et dégradante » (je souligne le mot, qui est fort…).
L’Europe n’est assiégée par rien d’autre que par ses peurs et son impuissance. Ce ne sont plus les philosophes de Lumières qui nous guident : c’est Stephen King – même si le maître du suspense n’apprécierait guère d’être associé à ceux qui distillent la peur dans la société, au détriment de ces citoyen.ne.s solidaires que Francis Van de Woestyne, dans un récent éditorial de la Libre, appelle « les nouveaux Justes »…
La lutte des discours
Ce sont bel et bien deux visions du monde, de la justice et de l’humanité qui s’affrontent. Face au discours dominant, celui du pouvoir, le contre-discours de la solidarité est de plus en plus perceptible. Il s’illustre, par exemple, dans le « Café serré » de Thomas Gunzig face à Jan Jambon, qui réussit en quelques minutes à démonter tout le discours de la N-VA. Jan Jambon ne rit pas, peut-être parce qu’il se concentre pour ne rien perdre des paroles de Thomas. Son électorat ne rit pas non plus. De part et d’autre, on prêche pour des convaincus.
Ni fragiles ni dangereux, les milliers de personnes qui agissent tous les jours ne sont pas des collabos. Il faut refuser cette confiscation et ce dévoiement du langage qui avilissent l’humanité. Ces personnes sont les Résistant.e.s qui rendent sa dignité à notre démocratie ; elles ne sont pas près de se décourager. Au contraire. Plutôt que de menacer et d’intimider, le gouvernement devrait avoir le (vrai) courage de mettre en place une politique véritablement efficace, juste et humaine — le contraire de celle qu’il met en œuvre aujourd’hui.
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